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Geek Me Five
6 décembre 2009

Christophe Arleston - Et de Trois qui font Troy

Scotch_Arleston_Christophe_Arleston_Christophe_Pelinq

15 ans d’existence, difficile de s’en rendre compte pour ceux qui ont grandi avec Lanfeust de Troy. Contrairement à nous, Lanfeust ne vieillit pas. C’est d’ailleurs l’enjeu de la troisième saga dévouée au personnage : Lanfeust revient, après son périple inter-galactique (Lanfeust des Etoiles, 8 tomes) dans un monde qui l’a érigé en héros légendaire. Mais il a gardé ses 20 ans et personne ne croit qu'il ait pu un jour sauver l'univers.

 

Christophe Arleston, le scénariste-créateur de la saga et de tout l’univers de Troy, approche la cinquantaine. Mais le discours demeure d’une fraîcheur à l’image de son œuvre. A la fois conscient d’avoir crée une œuvre monstre et populaire et soucieux de préserver son esprit contre les tentations de merchandising sans âme, l’homme reste d’une drôlerie et d’une franchise renversante. Comme quoi, les artistes ressemblent définitivement à leurs œuvres.

Pourquoi relancer Lanfeust ?

A aucun moment, on s’est dit, Didier et moi, qu’on allait arrêter la saga. On a raconté deux histoires qui ont duré 8 tomes chacune. Cette nouvelle va n’en durer que 2, on a été un peu plus raisonnable. 8 ans, c’est très long pour attendre la fin d’une histoire. Didier Tarquin et moi, on s’est dit : « bon, avant, on attendait le jeudi soir pour découvrir le nouvel épisode de X-Files sur M6. » Aujourd’hui, ça n’est plus possible : on achète une saison de Rome et on la regarde en un week-end. On ne peut plus demander à nos lecteurs d’attendre, alors qu’ils sont comme nous. Ces deux tomes sont plus longs, en revanche : ils font 65 pages chacun, l’équivalent de 3 anciens tomes en densité narrative. Pardon, en tant que scénariste, c’est des choses auxquelles je dois prêter attention (sourire). Lanfeust continue pour la simple raison que nous, on a envie de continuer. On est vraiment très loin d’en avoir fini avec ce personnage. Le seul problème avec Didier, c’est qu’on a 72 idées d’avance et qu’on n’aura jamais le temps de les traiter ! Lanfeust, pour moi, c’est surtout un prétexte à comédie. La trame doit tenir debout, être sérieuse, mais de toute façon, on sait que c’est le gentil qui va gagner à la fin. Ce qui nous intéresse, ce sont les interactions entre les personnages, les histoires d’amour ratées de Lanfeust, etc.

Le héros revient dans le monde de Troy 20 ans après la dernière saga. Le fait que, contrairement aux autres, il n’a pas vieilli, donne naissance à de nombreuses situations qui sont géniales pour un scénariste. Lanfeust se retrouve face à une image chahutée de lui-même. Après avoir sauvé le monde, il est devenu une légende, car il a disparu et personne ne pouvait le voir en tant que réalité. Alors que c’est toujours un grand couillon de 19 ans, qui se fait marcher dessus et berner par les filles. Je fonctionne toujours au personnage, en suivant leur caractère. Alors, évidemment, un scénariste c’est un peu sadique : on fout des chausses trappes partout sur le chemin de ses créatures. C’est là que c’est drôle.

 

C’est donc une nouvelle orientation thématique, cette remise en cause du héros traditionnel ?

Non, c’est dans la logique des choses. Alors oui, il y a une sorte de complot des mages d’Eckmul contre lui, pour le faire retourner à l’école et le mettre au pas. Mais on reste dans la caractérisation classique : il est capable d’aller combattre en héros des dragons gigantesques mais aussi d’aller au coin comme un benêt si un prof le lui ordonne. C’est cette ambivalence du personnage que j’aime bien. On se reconnaît un peu là-dedans : on a tous été des ados coincés, à part certains, mais ceux-là, on pouvait pas les saquer !

Lanfeust_3

Pourquoi choisir « Odyssey » comme titre ?

Au début je voulais appeler la saga : Lanfeust de Sixte. Je m’étais dit : Lanfeust de Troy revient sur Troy, donc deux fois Troy, Sixte, voilà… Puis finalement Lanfeust Odyssey s’est imposé : c’est un titre qu’on va garder pour l’ensemble de la suite. On va être très itinérant à chaque fois, deux albums par deux albums, dans le monde de Troy. C’est bien sûr en référence à l’odyssée d’Ulysse. Et puis, nous sommes en ce moment en pourparlers avec Marvel et DC Comics aux Etats-Unis, pour savoir lequel des deux va pouvoir racheter le monde de Troy. On avait besoin d’un titre qui marche dans toutes les langues, d’où l’orthographe avec un « y ».

 

Sans dévoiler trop de choses, pouvez-vous nous dire où va la saga Lanfeust ?

Je pourrais faire semblant d’être professionnel et prétendre savoir où elle va, je n’en ai jamais eu la moindre idée. On est au tome 16, et j’ai toujours improvisé page après page. Je travaille plutôt dans la tradition des romans-feuilletons du 19ème siècle, de Rocambole, de Ponson du Terrail. J’ai vaguement une idée de grande ligne, mais ce n’est jamais définitif dès que je me mets à écrire. C’est le plaisir d’écrire ces BD : se surprendre soi-même constamment. Tous les matins, quand je m’installe devant mon mac, je suis embringué très vite dans l’aventure et ça se passe tout seul. J’ai parfois l’impression d’être un reporter avec sa caméra sur l’épaule, que je suis Lanfeust et c’est lui qui décide ce qui fait et non pas l’inverse. Le personnage évolue de lui-même, dans le sens où nous, les auteurs, on évolue aussi. J’avais 30 ans quand j’ai écrit le premier Lanfeust, j’en ai 46 aujourd’hui. On est pas le même homme, mais à ces deux moments de ma vie, j’ai toujours 13 ans dans ma tête. Tout cela se mélange et crée des personnages. Une série comme ça, c’est un vrai matériau vivant.

 

Peut-on parler d’une évolution du style, avec cette nouvelle saga ?

Vous savez, Didier Tarquin est quelqu’un qui se remet en cause à chaque album. Il essaie à chaque fois de nouveaux trucs. Des fois, c’est difficile de le discerner en tant que lecteur, mais il y a des albums qui sont dessinés en tout petit ou en très grand, au pinceau, au feutre, sur des calques et j’en passe. Pour cet album, il avait eu l’envie de partir sur un format de comics, avec des pages beaucoup plus petites, avec 4-5 images par page en moyenne, alors qu’on était à 12 voire 14 images dans les précédents Lanfeust. Mais au bout de 25 pages, il ne s’est pas senti très à l’aise avec ce format. Il a donc tout aéré. Le début reste dans un esprit comics, et ça change ensuite, mais là, on commence à rentrer dans l’observation de spécialiste. On a donc appliqué un système de 9 pages, qui était celui des débuts de Lanfeust de Troy, d’ailleurs. On va rester, je pense, dans ce système un peu plus allégé. Le problème, c’était que, plus on rajoutait des détails, plus on se disait : « merde, on va devoir fournir une loupe avec l’album, ou alors l’imprimer sur un livre de 77cm sur 1m20 ! » (rires). Donc là aussi, on cherche, on expérimente, on exagère. Je pense qu’on a trouvé un bon équilibre, même si on a quelques regrets. Mais je ne connais pas d’auteur qui se déclame génie et crie à son propre chef d’œuvre. On veut toujours retoucher quelque chose quand l’album est fini, puis on se ravise et on se dit que, l’important c’est d’avancer.

Lanfeust_1

Vous lancez une nouvelle formule de lecture sur internet. C’est, selon vous, l’avenir de Lanfeust, voire celui de la BD en général ?

Je n’ai aucune certitude là-dessus. C’est quelque chose que j’ai voulu, personnellement. Ce n’était pas une idée de l’éditeur. Il a même fallu, au contraire, que je lui bouge un peu le cul pour qu’on fasse ça. J’ai été cherché deux jeunes infographistes et les ai installé là où on travaille, au studio Gottferdom à Aix en Provence. Didier Tarquin et moi avons supervisé le travail. On a bossé cette version numérique en Flash afin de donner une énergie à la lecture, en baladant la caméra, en faisant apparaître les bulles progressivement, etc. Il y a aussi une bande-son suggérée, des images surdécoupées et tout un tas de petits effets. Aujourd’hui, on est toujours en train de chercher de nouveaux langages. Ce qui est génial avec le numérique, c’est que la version dévoilée il y a trois semaines n’est déjà plus la même que celle qui est en ligne aujourd’hui.

Même si je crois beaucoup dans cette formule, je ne crois absolument pas à la disparition du livre non plus. Mais ça peut intéresser des gamins qui sont moins tournés vers la lecture. Moi, je faisais partie de la génération qui se faisait engueuler quand on regardait la TV. Aujourd’hui, la jeune génération, celle de mes enfants, est une génération qui ne regarde même plus la TV, mais qui cherche sans cesse des nouvelles images sur Internet. Il était donc important, pour moi, qu’on existe sur la toile.

 

On pourrait presque parler, pour cette version numérique, d’une mise en scène de cinéma. Faut-il pressentir une volonté de votre part de porter un jour à l’écran le monde de Lanfeust ?

Peut-être un jour, mais un jour qui risque d’être fort lointain. On a bien sûr été contacté, le succès de Lanfeust aidant, par beaucoup de producteurs. Mais le problème est, qu’en France ou en Europe, on a pas les moyens de reproduire le monde de Lanfeust. Quel est l’intérêt de Lanfeust ? C’est de voir 300 000 figurants attaquer un château, des monstres pas possibles, c’est du grand spectacle. On imagine bien qu’au cinéma, il faut avoir les studios américains derrière. A la limite, un mec comme Besson serait le seul en France à pouvoir financer un tel projet. Mais il ne le fera pas parce que pour le moment, la BD n’a pas de retentissement international. D’où le fait que j’espère beaucoup de cet accord américain et de la publication potentielle des albums aux Etats-Unis. Aujourd’hui, les grandes maisons d’édition américaines appartiennent à des majors hollywoodienne. Marvel ne vit pas du papier qu’il vend mais des films adaptés de ses personnages. DC doit sa survie aux films Batman. Par contre, ils ont l’intelligence de continuer à produire de la BD, car c’est leur secteur Recherche et Développement. Le fait d’être publié chez eux, c’est être dans la vitrine pour attirer les producteurs. Aujourd’hui, on ne peut même pas rêver de faire un film, car on n’est même pas dans cette vitrine. Donc, moralité : c’est pas gagné, donc on se concentre sur la BD pour le moment !

Lanfeust_2

Vous vous considérez comme un geek ?

Je ne sais pas si je suis un vrai geek. Ce qui m’amuse c’est qu’il y a autant de définition du geek que de geeks eux-mêmes. Par ailleurs, dans Lanfeust Mag, un mensuel dont je m’occupe et à l’intérieur, il y a une partie gag qui s’appelle « Les geeks ». C’est une rubrique qui est faite par des geeks informaticiens. A côté de ça, on a les geeks de Star Wars, de Warhammer etc... Alors oui, je suis un peu geek dans le sens où je me passionne pour toutes les cultures populaires parallèles. Mais je ne suis pas obsédé par ça non plus. Je ne sais pas jusqu’où va ma geekitude. En tout cas, il est évident qu’aujourd’hui, les geeks font tourner le monde. Et le mieux, c’est qu’on est dans une génération où beaucoup de geeks arrivent à se dégoter des postes à responsabilité. Ce qu’il y a de bien, c’est de voir un mec, habillé en costard-cravate toute la journée, qui se déguise le soir en Obi-Wan Kenobi.

 

Avez-vous eu des références de geek pour la création de Lanfeust ?

Je ne pourrais pas en citer une en particulier. Lorsqu’on écrit, on est sans cesse rappelé à des tonnes de lectures ou vision qu’on a connu avant. Tout ça se mélange et resurgit quand il s’agit de créer une histoire. Parfois c’en est même étrange : il m’arrive de relire certaines pages et de me rendre compte que j’avais eu une résurgence d’une œuvre que j’avais lu. Mais on ne se rend compte de rien quand on buche sur un scénario. D’ailleurs, pour ce nouveau tome, j’ai un peu calmé les références parce que je ne voulais pas que les gens qui découvrent la saga soient obligés de se taper les 15 tomes précédents pour comprendre. Afin de bien remettre les choses à plat, j’ai peu stoppé mes délires parallèles. Mais je compte bien y revenir pour le tome 2 !

Entretien réalisé par Yann François, le 27 novembre 2009 à Paris.

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