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Geek Me Five
22 décembre 2008

Heroes ou l'aveu d'impuissance des superhéros

Heroes_new_season_1451

Heroes arrive à la moitié de sa troisième saison. L'heure est peut être venue d'entamer une réflexion sur ce mi-parcours d'un cycle censé relancer l'une des machines narratives télé les plus rentables de l'Histoire, grippée depuis l'année dernière pour diverses raisons (grêve des scénaristes, médiocrité d'écriture et de renouvellement de la deuxième saison). Mon but est de pouvoir débattre avec l'un des détracteurs les plus virulents de la série, mon cher collègue Vincent (et chef, tout de même). En espérant que ce ping-pong verbal sera moins une bataille d'egos qu'un véritable dialogue sur une des oeuvres populaires les plus fascinantes du moment...

Chapitre 3 donc, intitulé "Villains". L'heure est venue pour les bad guys d'envenimer une narration devenue, il est vrai, trop poussive dans les épisodes précédents. Mais mon intérêt pour ce chapitre ne se situe pas du côté du scénario - cause évidente de mon désaccord avec Vincent. Rétif moi même à tout "spoilage" (note pour plus tard, vérifier l'étanchéité de ce néologisme), je ne m'amuserai en rien à dévoiler quoi que ce soit sur cette nouvelle aventure de ces quidams aux super-pouvoirs.

L'arrivée de la série en 2006 a marqué un cap, modeste certes mais bien présent. Condensant tous les éléments de la culture pop bis, Heroes était un rêve de geek, celui de considérer le comics non pas comme une œuvre métaréflexive sur son propre dispositif (les versions ciné de Spider-Man et de Hulk avaient déjà tracé ce sillon), mais de le replacer dans un terreau populaire en adéquation avec la BD : la série TV. A la manière d'un comics que l'on attendait fébrilement d'une semaine à l'autre dans les kiosques, on suivait avec la même assiduité infantile la diffusion hebdomadaire des épisodes sur la chaîne Bouygues. Ajoutons à cela un écho avec le 11 septembre (ces scènes de NY vidée par un cataclysme d'origine inconnue), la perpétuation du mythe américain (tout citoyen, aussi banal soit-il, peut sauver le monde grâce à un pouvoir propre : "Save the cheerleader, save the world") et surtout le schéma familial bafoué par un complot politique global (autant de trahisons inter-générationnelles que dans une pièce de Shakespeare).

heroes_saison_3Passé cet enchantement, la déduction était double pour le devenir de cette série : soit celle-ci opérait un virage à 180° et se renouvelait, soit elle répétait les mêmes principes formels et thématiques en leur donnant de l'emphase. Cette dernière solution fut malheureusement appliquée l'année dernière. Passons cette expérience honteuse...

Aux premiers abords de cette troisième saison, le constat est flagrant. Tim Kring (créateur de la série) et son staff ont bien compris la leçon : cette saison pourrait être la dernière, autant risquer le tout pour le tout. Terminées les questions d'identités, de devoir moral face à l'Humanité, "de pouvoirs qui entrainent de grandes responsabilités", etc. L'histoire doit avancer vers la fin du Monde, quitte à recourir à quelques facilités, voire abus scénaristiques. Je laisse Vincent fustiger les aberrations que l'on peut retrouver au cours de ce cycle. Je les admets moi même.

Mais la force de Heroes réside ailleurs et couvre à mes yeux ces petits écarts de narration.
Le récit est constellé de déplacements dans le temps et l'espace à la vitesse de l'éclair. Que ce soit par le jeune Hiro (capable de voyages temporels) ou la jolie Daphné (nouvelle et jolie venue, petite soeur trash de Flash l'Eclair sans la combi latex rouge SM), le continuum spatio-temporel n'aura jamais été aussi emprunté et malmené. Si bien que les personnages, les spectateurs et même les scénaristes (des scènes tragiques clés sont anticipées et jetées à l'emporte-pièce sans assurance qu'elles soient un jour vécues à l'écran) se retrouvent désorientés eux-mêmes par tant de circonvolutions. Entrer dans Heroes, c'est entrer dans un sas hermétique où la perception de la logique narrative n'est plus la même. Si bien qu'on arrive, si on décide de s'accrocher à cette magnifique série, à se contrefoutre de la cohérence pour mieux se focaliser sur la beauté pure de l'objet. Le temps, l'espace laissent place à une pure observation esthétique, chose rare dans une série, dispositif paradoxalement basé sur un bon scénario solide.

 

heroes_titleCe constat me rappelle en partie des écrits d'un grand génie. En effet, Deleuze opposait deux images au cinéma : l'image-mouvement (image qui obéit à un schéma logique narratif, action-réaction, essence de la série TV donc) et l'image-temps (image qui offre une "situation optique et sonore pure", du temps pris pour lui même). J'arrête cette intervention pompeuse pour garder à l'esprit que Deleuze prenait souvent comme exemple certains films de Buster Keaton, qu'il considérait comme l'un des premiers à avoir réfléchi sur l'espace et le temps au cinéma. Si on regarde le chef d'oeuvre Sherlock Junior, Keaton est prisonnier d'un plan, seul les décors changent, par "cut", mais son corps, lui, reste au présent et se heurte à ces changements arbitraires de décor. De là naît le rire, d'un corps prisonnier d'un espace temps-espace qui lui échappe.

Revenons à Heroes dans un des premiers épisodes de la troisième saison, Hiro, qui a toujours du mal à contrôler ses pouvoirs de time-traveller, se réfugie dans un cinéma. A l'écran passe un film de Keaton. Qu'on ne me fasse pas croire que ce n'est que pur hasard. Voilà où réside donc cette beauté de Heroes, dans ce simple constat de la difficulté à pouvoir lutter contre la force du temps et de l'espace, aussi superhéro soit-on. Vivement la reprise (le 02 février) !

P.S  : cette question mériterait meilleur traitement, tant elle trouve une densité dans la série. Je m'engage à revenir dessus, en espérant une réponse de mon cher Vincent.

EDIT / Réponse de Vince : Heroes, ça pue des pieds... mais je regarde quand même.

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